La peinture: un chemin inattendu.
Mes parents étaient musiciens et mon père était un excellent dessinateur. Parfois je lui demandais de me dessiner des voitures et j’étais toujours émerveillé devant le résultat. Moi-même je ne me sentais ni doué pour, ni attiré par le dessin. Autocritique dès mon enfance, je trouvais les dessins que je faisais en classe plutôt minables.
Bien plus tard, alors que j’étais dans ma quarantaine, un jour une amie me dit soudain et sans aucun rapport avec ce dont nous parlions: “Tu te mettras à la peinture et tu feras des expositions.” J’aimais bien cette personne dont j’appréciais les nombreuses qualités, mais ce jour-là, j’avoue que je me suis dit qu’elle déraillait car je ne me sentais ni l’envie ni la capacité de peindre.
Quelques années plus tard, dans le cadre de cours que j’assurais en faculté, pour l’enseignement de l’Art-Thérapie, ayant de solides bases dans le domaine de la musique et du langage corporel, je sentis soudain une envie d’acquérir également une expérience personnelle dans le domaine de la peinture.
En effet, ayant à assurer des cours théoriques au sujet de la valeur thérapeutique de la peinture, je me sentais un besoin impérieux de toucher aux pinceaux pour acquérir un minimum d’expérience pratique de l’art pictural.
Je ne me sentais pas le droit de parler de peinture sans avoir jamais peint moi-même et donc je pris la décision d’oser peindre un premier tableau.
Peu après, la Vie, qui semble encourager les décisions courageuses, me fit rencontrer une galériste qui pare hasard, ce hasrad qui n’existe pas, avait vu mon tableau et qui me proposa d’emblée de continuer à peindre, en vue de participer quatre mois plus tard à une exposition. J’avoue avoir eu la même réaction que vingt ans plus tôt quand on m’avait annoncé que j’allais me mettre à peindre. Je trouvais cette proposition de peindre et d’exposer dans un futur très proche tout à fait ahurissante. Mais ce chemin était probablement tracé depuis ce qu’on appelle la nuit des temps et donc, pris par un enthousiasme fiévreux tout en étant rongé par des doutes et une grande crainte de me ridiculiser, je me mis aux pinceaux. L’exposition eut lieu et depuis les propositions d’exposer n’ont pas cessé. Je comprends que cela a l’air d’être inventé de toutes pièces, mais c’est pourtant ce qui s’est passé.
Par la suite j’ai suivi pendant quelques années des cours de peinture et de dessins et je me suis aventuré à “faire danser les couleurs”. Aimant les couleurs vives, mes oeuvres sont souvent dans des tonalités très affirmées. Pendant longtemps j’ai surtout peint d’une part des composition linéaires et géométriques, d’autre part des arbres “qui dansent”. Ces derniers temps j’expérimente dans diverses directions, sans jamais me soucier de suivre le style en vogue actuellement, je privilégie toujours ma spontanéité.
Dès le départ l’art-thérapeute en moi m’a poussé à proposer à des artistes amis, de créer des oeuvres communes. Ces expériences sont passionantes et très enrichissantes. Peindre un tableau à deux ou même à plusieurs, oblige sans aucun doute à calmer un peu l’ego, mais offre une possibilité de découvrir l’univers artistique de l’autre, de s’adapter à des formes et tonalités inconnues et permet, en “accueillant l’autre”, de s’exprimer néanmoins de façon personnelle, dans le partage. Bref une expérience des plus intéressantes.
Elle comporte certains risques, celui de dégénérer vers la mésentente, le risque aussi de se sentir frustré de ne pas pouvoir dire “mon tableau” et autres réactions classiques de l’ego qui craint toujours être en danger de disparaître. Mais pour des artistes ouverts d’esprit et prêts à la découverte de l’autre et d’eux-mêmes, quel superbe partage!
Me remonte un souvenir amusant. Alors que j’enseignais en faculté, dans le cadre de la formation des art-thérapeutes, j’ai plusieurs fois proposé à mes étudiants de créer une “peinture à deux pinceaux”, expérience qu’on pourrait rapprocher d’une improvisation au piano “à quatre mains”. J’ai remarqué que, plus les étudiants avaient une solide formation en peinture, certains avait fait les beaux-arts, plus leur réticence était grande.
Je me souviens de deux étudiants qui de suite, par un trait diagonal, avaient de façon claire et nette divisé la toile commune en deux parties distinctes, pour définir deux espaces personnels. Il y a donc eu deux oeuvres sur une même toile, ce qui n’allait pas du tout dans le sens de l’expérience proposée. L’intérêt étant un travail de découverte de l’autre et une adaptation des plus intéressantes de le créativité personnelle de chacun, dans un partage. J’ illustre ce partage par la reprocution de deux oeuvres que j’ai eu la joie de peindre avec deux amies. La première toile peinte en commun avec Sophie FRISCH, la deuxième avec Claude SCHULZE. Concernant les deux oeuvres, on nous a posé la question: “Mais qui a peint quoi? “. La preuve que ces deux expériences sont le résultat d’un partage, disons réussi, chacun ayant su s’exprimer sans, ni s’effacer, ni s’imposer.
J’ai des souvenirs d’expériences moins sympathiques, mais je ne regrette pas les avoir vécues. Une seule expérience m’a laissé pendant un bref moment un ressenti de stupéfaction et de déception, je l’avoue. La toile sur une partie de laquelle j’avais peint à ma façon, m’est revenue un peu plus tard sans qu’il n’y ait plus la moindre trace de ma création, le but de l’expérience n’avait visiblement pas été compris. Je n’en a pas fait un drâme. Cela fait partie des aléas dans le domaine de la communication et des échanges entre humains. L’ego se sent facilement en danger, pour se sécuriser il a parfois tendance à s’imposer.
Dès ma première exposition la Vie me fit un cadeau inestimable. Alors que j’étais présent dans la galerie deux jours après le vernissage, entra un père de famille accompagné de ses deux enfants qui devaient avoir 6 et 8 ans. Il y avait très peu de monde à ce moment et j’entendais les commentaires des enfants qui avaient sûrement vu bon nombre d’expositions car ils s’arrêtaient devant chaque tableau et exprimaient de façon très spontanée leur ressenti.
Quelle joie pour moi de soudain entendre dire un des enfants, alors qu’il se trouvait devant ma première oeuvre: “Papa regarde comme c’est beau! L’arbre danse” et l’autre enfant d’ajouter: “Moi je trouve qu’il chante”. Si j’avais pu vivre beaucoup de doutes et plein d’angoisses concernant cette première exposition, tout cela venait de s’envoler. Je sentais que même si je n’allais jamais entendre d’autres compliments, ce qui n’a pas été le cas, je ne regretterai pas d’avoir osé toucher aux pinceaux. Toucher l’âme d’un enfant est un des plus beaux cadeaux que la vie puisse nous faire.